À la découverte de l’une des collections de bijoux anciens les plus exceptionnelles
Vêtu d’un costume noir avec cravate, Kazumi Arikawa salue ses invités de façon formelle avec une poignée de main et une courbette. Il était à New York à l’occasion de la première de l’exposition de bijoux anciens du Metropolitan Museum of Art, « The Body Transformed », qui a pris fin en février dernier.
Sa société, Albion Art, qui dispose de points de vente à Tokyo et à Fukuoka, était le sponsor principal de l’exposition. En plus de son sponsorship, M. Arikawa a fait don de 3 bijoux anciens au musée.
Dans le cercle très fermé des collectionneurs de bijoux de haute joaillerie et des universitaires, M. Arikawa est célèbre pour son amour des bijoux anciens et de l’art en général, mais en Occident il est presque un inconnu. Il possède pourtant une collection incroyable de près de 800 bijoux historiques, rassemblée durant plus de 30 ans. Il a beau avoir résidé toute sa vie au Japon, l’immense majorité de sa collection consiste en des bijoux anciens occidentaux. Il possède des pièces de toutes les périodes, de l’Antiquité à la Renaissance à des bijoux vintage plus contemporains.
Son sponsorship de l’exposition de bijoux du musée new-yorkais lui a en quelque sorte permis de sortir de l’ombre. Il souhaite désormais pouvoir faire profiter de sa collection à des publics plus nombreux. Il explore plusieurs pistes, notamment l’ouverture d’un musée à Kyoto qui exposerait ses pièces. Si ce projet devait se matérialiser, ce musée deviendrait unique en son genre, pour ceux qui ont eu la chance d’admirer ses bijoux anciens.
« Je pense que la collection d’Albion Art doit être l’une des collections privées de bijoux anciens les plus exceptionnelles du monde, » a déclaré Vivienne Becker, historienne de la joaillerie de renom et auteure qui a eu la chance d’examiner plus de collections privées de bijoux anciens que quiconque.
Kazumi Arikawa, un homme à la recherche d’une passion
En quelque sorte, M. Arikawa était un homme en quête d’une passion. Il voulut tout d’abord devenir politicien, mais sa mère s’est opposée (il a perdu son père lorsqu’il était âgé de 10 ans). Il a ensuite étudié pendant 2 ans afin de devenir un moine bouddhiste. Après cela il s’est jeté corps et âme dans les études.
« Lorsque je suis retourné dans le monde réel, j’étais intéressé par la connaissance et la philosophie. Je voulais devenir professeur d’université, mais j’avais peu de confiance en moi, » a-t-il déclaré.
Lorsqu’il était jeune, sa mère a ouvert une petite bijouterie. Sa sœur a repris le magasin, et durant sa période d’indécision il s’est mis à y donner des coups de main. Petit à petit, il s’est intéressé à la joaillerie, mais d’une tout autre façon.
« J’ai pris très au sérieux mon implication dans l’affaire familiale, je me suis donné à fond et durant la première année j’ai réussi à tripler le chiffre d’affaires, » a-t-il déclaré. « Je voulais être le meilleur, c’est dans ma nature. Cependant, à cette époque les bijoux n’étaient pas artistiques, c’était plus un produit commercial. C’est également à cette époque que les pierres traitées ont commencé à débarquer sur le marché. Je savais que j’avais également une responsabilité envers nos clients, je me devais d’être intègre. Je me suis ensuite éloigné de la bijouterie pendant un an afin d’étudier le management. »
Durant cette période il a séjourné pendant 3 semaines à Paris. Il visitait les bijouteries de la place Vendôme, et leurs bijoux de luxe. Il ensuite pris la direction de Londres pour visiter le musée Victoria et Albert. Il affirme que sa galerie des bijoux a bouleversé sa vie.
Lorsqu’il est rentré à Tokyo, il a expliqué à sa sœur ce qu’il avait vu, comment sa vision de la joaillerie avait changé. Elle lui a alors recommandé de visiter 2 boutiques de bijoux anciens à Tokyo.
« J’ai visité l’une de ces bijouteries pour réaliser à quel point ces bijoux anciens ont une beauté sophistiquée. Je me souviens m’extasier devant la finesse de la joaillerie édouardienne, » a-t-il déclaré. « Je fus tellement inspiré. J’ai vécu un moment qui m’a secoué de l’intérieur. Ce fut une réponse à la fois physique et émotionnelle, viscérale, face à la grande beauté d’un bijou. »
Il s’est lié d’amitié avec le propriétaire, qui lui a confié 4 bijoux d’une valeur d’environ 10.000 $.
« Je n’oublierai jamais cet acte de bonté, cela a changé ma vie. Je me souviens de l’un de ces 4 bijoux anciens, il s’agissait d’une belle broche en diamant. Je l’ai vendue immédiatement à des clients de la bijouterie, à des clients privés. C’est ce que j’ai continué à faire durant les 15 années suivantes. J’ai ensuite ouvert une petite boutique de bijoux anciens à Fukuoka il y a plus de 30 ans, c’est là où tout a commencé. Quelques années plus tard, j’étais devenu le premier marchand de bijoux anciens du Japon. Après quoi mon ambition fut de devenir le meilleur marchand du monde. »
Selon lui, c’est sa formation de moine bouddhiste, une religion qu’il suit scrupuleusement, qui lui a permis d’apprécier les bijoux occidentaux.
« J’ai réalisé, grâce à ma formation bouddhiste, que les bijoux ne sont pas seulement décoratifs. Ils ont également une dimension spirituelle. Ma compréhension de la véritable nature et beauté des bijoux vient à moitié du bouddhisme, l’autre moitié provenant de l’impact qui découle de la manipulation de telles œuvres d’art, » a-t-il déclaré. « J’avais désormais pour mission de créer une véritable culture des bijoux, de montrer leur véritable signification. Après quoi tous mes doutes se sont évaporés. Je ne me cherchais plus, je savais où je devais aller. La lumière est apparue de la brillance et de la profondeur infinie des pierres précieuses et des bijoux. »
Acquérir la beauté et sauver la planète
La détermination et la passion sont évidentes chez cet homme. Collectionner des bijoux anciens n’est pas uniquement l’œuvre de sa vie, mais aussi sa façon de rendre notre monde meilleur.
« Mon critère de choix est la beauté. Je choisis des chefs-d’œuvre. Aujourd’hui je suis en mesure d’acheter les bijoux anciens les plus beaux, les plus importants et les plus historiques, notamment les joyaux impériaux russes, » a-t-il déclaré. « Je paye parfois très cher, mais j’ai toujours l’impression qu’ils sont sous-évalués. »
« Le problème contemporain le plus pressant d’aujourd’hui est l’environnement. En raison de la pollution et de la surconsommation, nous endommageons la beauté de la planète, de l’air, de l’eau, des forêts. Si nous perdons ces éléments vitaux, si nous perdons cette beauté essentielle, nous périrons. Cette beauté est cruciale, il ne s’agit pas d’un luxe ou de quelque chose de superficiel. La beauté est essentielle à notre survie. Je pense que cela peut être démontré via la beauté des bijoux, qui sont le fruit des trésors naturels les plus précieux de notre planète. Cette compréhension peut changer nos valeurs, nous aider à obtenir ce changement d’attitude devenu tellement urgent. »
Vu qu’il collectionne sur le critère de la beauté, il fut en mesure d’acheter des pièces à des prix considérés aujourd’hui dérisoires. Par exemple, il se prit d’affection pour les tiares il y a longtemps, bien avant qu’elles deviennent à la mode parmi les collectionneurs.
« Lorsque j’ai commencé à acheter des tiares il y a 35 ans, elles étaient bon marché malgré le fait qu’elles comportaient de nombreux diamants. Personne n’en voulait. Lorsque je me rendais à des ventes ou chez des marchands de bijoux anciens, je pouvais les entendre dire « ramenez-moi au Japon ». « Très tôt, j’ai acheté une tiare Fabergé, qui valait la moitié de mon stock de bijoux anciens. Mais selon moi, il s’agissait d’une opportunité unique. Ma collection a compté jusqu’à 150 pièces. »
Les camées sont une autre passion d’Arikawa, notamment en raison de leur point commun avec la sculpture bouddhiste.
« Même il y a 35 ans j’étais fasciné par l’art de la gravure sur pierre, par les motifs des dieux, des déesses et des héros grecs que l’on retrouve sur les camées anciennes. Pour les anciens, les camées étaient des sculptures sacrées, elles avaient une dimension spirituelle, un pouvoir. Durant la Renaissance, la gravure sur pierre était considérée comme la maîtrise artistique ultime, bien plus précieuse que la peinture. Cet art était encore neuf, alors que la gravure remonte à l’Antiquité. »
La peinture a fini par s’imposer sur le monde des arts, mais aujourd’hui le temps des bijoux en tant qu’art est venu, selon Arikawa.
« Les bijoux commencent à être appréciés en tant que véritables œuvres d’art, » a-t-il déclaré. « Il s’agit en quelque sorte d’un retour aux sources, à leur rôle essentiel. J’espère que j’influence l’histoire de l’art. Les bijoux représentent la beauté de l’univers, la beauté de la vérité. »
Crédits photos : Albion Art